Les « justiciers du Sahel » : ces super-héros africains qui luttent contre les inégalités

Au Mali, au Niger et au Tchad, les adversités ne manquent pas mais Kadiatou, Younoussi, Salim, Yasmine, Fousseyni et bien d’autres héros anonymes nous démontrent tous les jours qu’on peut y faire face.

Au Mali, au Niger et au Tchad, les adversités ne manquent pas mais Kadiatou, Younoussi, Salim, Yasmine, Fousseyni et bien d’autres héros anonymes nous démontrent tous les jours qu’on peut y faire face.

Malgré son immense potentiel de développement, la région du Sahel fait face à des défis de taille : pauvreté extrême et inégalités criantes rendent la vie de millions de personnes plus difficile et plus courte. Pour les femmes notamment, les discriminations sont autant d’obstacles sur le chemin de leur émancipation et de leur développement personnel. Aller à l’école pour les petites filles ou se rendre chez le médecin pour les malades reste un rêve inatteignable pour beaucoup.

Mais le Sahel possède aussi une richesse incalculable : sa jeunesse. Que ce soit au Mali, au Tchad ou au Burkina Faso, au Sénégal, au Niger ou en Mauritanie, ces jeunes sont bien décidés à faire bouger les lignes. Conscient-e-s que la pauvreté et les inégalités ne sont pas une fatalité mais le résultat de choix politiques et économiques, ils et elles mobilisent leurs communautés et travaillent pour un Sahel plus juste et solidaire. Ce sont des super-héros du quotidien aux pouvoirs bien réels.

Oxfam est allée à leur rencontre.

Marie-Anne : « Je veux convaincre les femmes qu’elles ont le droit de revendiquer leurs droits. »

Marie-Anne est une jeune activiste malienne. Journaliste, poétesse et écrivaine, elle lutte pour les droits des femmes. Elle se bat particulièrement contre le mariage précoce et les grossesses non-désirées pour que les jeunes femmes puissent continuer leurs études. Diplômée en droit, elle a fondé la jeune association « Pour la cause des femmes » avec laquelle elle mène des actions de sensibilisation auprès des étudiants.

« Les femmes sont des personnes à part entière. L’homme les voit comme des concurrentes mais elles ont les mêmes droits que les garçons même si souvent elles l’ignorent. Il y a aussi le poids de la tradition. Dans la tradition, les femmes ne sont femmes que quand elles sont dans un foyer. Je veux les convaincre qu’elles ont le droit de revendiquer leurs droits. »

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Au Sahel, malgré les progrès de scolarisation des filles, l’école ne parvient pas à gommer les inégalités entre filles et garçons. La décision d’éduquer des filles dépend souvent de la situation économique de la famille et passe après les choix éducatifs et professionnels des garçons, les grossesses et mariages précoces et les obligations domestiques. D’après l’UNESCO, si toutes les filles achevaient le cycle secondaire, le nombre de mariages précoces et forcés diminuerait de 64 %.

Fousseyni : « On aide les plus vulnérables à s’organiser face à l’Etat »

Fousseyni est un jeune activiste malien, membre de la Coalition des alternatives africaines dette et développement Mali (CAD). Sociologue de formation, il lutte contre les violations des droits humains et l’expropriation des terres par des investisseurs privés et des entreprises de l’Etat. Son principal défi est d’informer et de former, pour que les personnes les plus vulnérables puissent se défendre. Il leur enseigne les outils que proposent les lois, souvent méconnues par les victimes. Il appuie également à la création de réseaux d’associations pour créer une force locale.

« J’ai vu des paysans perdre des terres qu’ils exploitaient depuis 50 ans, car l’Etat les avait cédées à une multinationale. Un paysan qui perd ses terres devient très vulnérable, il doit travailler avec le reste de sa famille pour d’autres exploitants en tant que journalier. Les enfants ne vont plus à l’école. J’ai vu des familles souffrir. Ça m’a mis les larmes aux yeux. »

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Le secteur agricole est très important dans les pays sahéliens, où la majorité de la population dépend de l’agriculture et de l’élevage pour vivre. Mais le milieu rural concentre aussi une grande pauvreté et vulnérabilité aux chocs climatiques, politiques ou économiques. Au Burkina Faso, au Mali ou au Sénégal, les femmes représentent autour de 40 % de la main-d’œuvre agricole mais moins de 10% des propriétaires, alors qu’elles jouent un rôle essentiel dans la sécurité alimentaire.

Kadiatou : « Éduquer une fille c’est éduquer toute la communauté ! »

Kadiatou est une jeune étudiante et activiste nigérienne. Elle se bat pour les droits de femmes et lutte contre les traditions qui limitent leur émancipation. Selon elle, l’éducation est la clé contre les violences dont souffre le pays. Pour ça elle mène des actions de sensibilisation dans les zones rurales de la région de Dosso. Elle est aussi impliquée dans la sensibilisation sur le planning familial, sujet tabou au Niger, en utilisant notamment le théâtre participatif.

« Petite je voyais les femmes souffrir en silence, moi je n’acceptais pas de me taire. Ma famille me voyait comme une rebelle. C’était très dur, surtout avec mes parents. J’étais prête à tous les sacrifices, à force de persévérance, lassés, ils ont fini par accepter. Maintenant ils sont fiers de moi. »

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Normes sociales, croyances, pratiques et lois discriminatoires sont la cause d’importantes inégalités pour les femmes sahéliennes, insuffisamment protégées contre les violences domestiques ou les mutilations génitales (au Mali, 9 femmes sur 10 en ont été victimes). Les femmes et les filles sahéliennes ont également peu de pouvoir sur leurs corps et leurs choix reproductifs. On estime qu’entre 13 et 23% d’entre elles seulement utilisent des méthodes contraceptives modernes.

Younoussi : « Tant que les décideurs politiques ne changeront rien, on continuera notre lutte »

Younoussi est un jeune activiste nigérien, engagé dans la défense des droits des populations face aux exploitations minières. Il est chargé de projet au sein du Réseau des organisations pour la transparence et analyse budgétaire au Niger (ROTAB), qui se mobilise pour changer la loi minière et forme des « comités de veille citoyenne » qui agissent sur le terrain pour faire pression sur les autorités.

« Quand les comités constatent des manquements de la part des compagnies sur les règles de sécurité, foncières ou environnementales, ils tirent la sonnette d’alarme. Il y a également un véritable problème environnemental. Ces exploitations dégradent les champs cultivables et empoisonnent le bétail. Tant que les décideurs politiques ne changeront rien, on continuera notre lutte. Les nouvelles générations ont une prise de conscience indéniable. »

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Les pays du Sahel disposent de ressources naturelles substantielles. Majoritairement exploitées par des entreprises étrangères, les populations n’en retirent que peu de retombées positives. Au Niger, quatrième producteur mondial d’uranium, principal produit d’exportation du pays, les revenus de l’uranium ne contribuent qu’à hauteur de 4% à 6% du budget du Niger, pendant que l’aide au développement en représente près de 40%.

Salim : « Le développement ne se mesure pas au nombre de gratte-ciels mais au nombre de citoyens qui peuvent accéder à l’école, la santé, l’emploi »

Salim est un jeune activiste tchadien qui lutte pour l’accès de tous au numérique. Informaticien, il est le co-fondateur de WenakLabs, une association de jeunes qui promeut la citoyenneté active et la démocratie participative à travers l’innovation technologique et l’ouverture des données publiques.

En partenariat avec Oxfam, Wenaklabs a développé la plateforme numérique citoyenne Femmometre, qui mesure les engagements politiques en faveur de l’égalité femme/homme. Le combat de Salim, c’est de permettre que le plus grand nombre puisse bénéficier des opportunités que représente Internet.

« On veut montrer au gouvernement qu’Internet n’est pas une menace mais est un bénéfice pour le développement du pays. On a une approche pédagogique, on veut que l’Etat participe aux avancées, qu’il ne reste pas en marge. Le développement ne s’évalue pas au nombre de gratte-ciels, mais au nombre de citoyens qui peuvent accéder à la santé, à l’éducation, à un emploi. »

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L’expression démocratique des populations sahéliennes se heurte ces dernières années à de nombreuses limites : cadres réglementaires restrictifs, obstructions bureaucratiques et absence de protection des acteurs engagés ou critiquant le pouvoir. Le Sahel est la zone la moins connectée d’Afrique et l’accès à Internet reste un privilège. Au Tchad par exemple, seule 7% environ de la population est connectée et les réseaux sociaux sont bloqués par les opérateurs et fournisseurs d'accès.

Yasmine : « Je veux être un exemple, je veux que la femme ait sa place dans la société »

Yasmine, jeune activiste tchadienne, est chanteuse et réalisatrice. Elle utilise l’art pour mener des actions de sensibilisation auprès des populations rurales. Lors d’une tournée de concert au Tchad en 2013, elle découvre la triste réalité des filles victimes de fistules obstétriques, une situation touchant de nombreuses femmes dans les zones rurales d’Afrique qui cause incontinences urinaire ou fécale à la suite d’un accouchement difficile. « C’est terrible, les parents ne veulent pas ou ne peuvent pas les faire soigner », explique-t-elle. Elle a donc créé le cinéma nomade, un moyen qu’elle a trouvé pour sensibiliser les habitants des zones rurales.

« Je fais du cinéma, du théâtre-forum et des concerts sur différents sujets : les fistules, le mariage précoce, la scolarisation des filles, l’excision, les conflits entre agriculteurs et éleveurs. Je veux que les Tchadiens soient comme les autres. Je veux que la femme ait sa place dans la société. »

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Le Sahel reste l’une des régions enregistrant les statistiques sanitaires les plus alarmantes du monde, l’espérance de vie en bonne santé y est de 53 ans en moyenne. Plus de la moitié des familles n’ont pas les moyens d’offrir à leurs enfants le suivi médical dont ils auraient besoin. Le niveau d’éducation joue également un rôle central dans la capacité des populations à accéder à des soins de santé. Or, seulement quatre des pays sahéliens sont proches de consacrer 20% de leurs budgets nationaux à l’éducation.

Rejoignez le mouvement

Les crises auxquels fait face le Sahel, qu'elles soient sécuritaires, humanitaires ou environnementales, prennent racine dans les inégalités profondes qui enferment une part croissante de la population dans la pauvreté.

La multiplication de mouvements citoyens, dans lesquels la jeunesse sahélienne s’investit massivement, sont de puissants témoignages des désirs des populations à obtenir plus de justice, de transparence et de redevabilité.

Ces inégalités ne sont pas une fatalité. Rejoignez le mouvement pour que nous puissions, ensemble, les combattre et vaincre la pauvreté pour de bon.